la lettre de Gérard Stagliano
par bazailles54
suite à son voyage Gérard nous transmet ses émotions
gerard-stagliano" <gerard-stagliano@wanadoo.fr>
Catégorie : aucune
Je vous envoie à tous ce que je viens d'écrire… mais j'écris d'abord à Régine Guicherd que je ne connais pas !
Gérard STAGLIANO
Je te raconte mon voyage. Tu sais que j'avais avec moi Nice-Matin et France 3 Côte d'Azur. À l'arrivée à l'aéroport d'Alger Maison
Blanche, non pardon Houari-Boumédiene de Dar El Beïda, le même en fait. Je devais être interviewé au pied de la passerelle, tout
le monde s'écarte pour laisser passer la star du jour, non pas Sharon Stone, moi, tout simplement, on voulait même, à l'instar du
pape Jean-Paul II me faire embrasser le sol, ce que j'ai refusé. Et là, la gorge serrée je parle un long moment, les mots sortaient tout
seuls, j'étais fluide et, apparemment convaincant et surtout terriblement émouvant. Je commence en disant par exemple que : "Je
ne suis pas revenu dans ce pays qui est le mien, où je suis né sur la table de la cuisine, en 1936, du logis que j'ai ensuite habité les 26
premières années de ma vie, les plus belles comme chacun sait. Que je n'ai pas dans les veines une seule goutte de sang français
puisque mes 4 arrières grands parents sont tous étrangers. Que je suis un pur produit pied-noir : 2 Espagnols, 1 Maltais et 1 Italien
dont je porte le nom. Qu'en dépit de ces ascendances je me sens (en prenant une grosse respiration) profondément Français, mais
en même temps profondément Algérois.
Et je termine la dessus, le temps que la police vienne saisir la camera de France 3, on n'avait pas le droit, que nous passions le
contrôle d'entrée, et nous nous retrouvons dans le grand hall en attente des bagages.
Survient alors, un Monsieur, Arabe, Algérien sans doute, vêtu d'une veste en pied de poule, comme le costume Pierre Cardin que je
porte alors. Un monsieur bien sous tous rapports, que j'ai vu dans le car où j'étais interviewé parce que je parlais pas seulement
devant les 40 Saint-Eugènois, mais devant tous les passagers de l'avion. Je l'avais remarqué, calé sur une épaule dans le coin du
bus, les bras croisés, qui me regardait, l'air légèrement renfrogné en m'écoutant attentivement. Il me tend une carte et me dit
"Docteur Rabia Lekhal, Directeur de le Santé et de la Population, je viens de vous écouter attentivement tout à l'heure et…
comment dire, vous m'avez secoué, aussi je tiens à vous dire que je vous invite vous et votre épouse à venir dîner chez moi, je tiens
à ce que vous honoriez ma table, j'y tiens absolument."Et moi de répondre :"Mais, mon épouse métropolitaine n'est pas venue !"
Comme j'étais à côté de Zabeth, ma copine d'enfance, il ajoute : " Eh bien avec votre amie, mais il faut que vous veniez demain,
après-demain, même dans une autre occasion. mais venez honorer ma table !"
Ambiance, j'avais la gorge nouée. Oui, on a été accueilli avec énormément de chaleur. La veille du départ nous descendons
guillerets, à la Pointe Pescade, passe une dame habillée chic à l'Européenne. Nous sommes deux Saint Eugénois, lui devant, moi
derrière : Elle nous arrête et nous questionne : "Vous êtes nés ici ?" "Oui, Madame" Et elle, en articulant bouche en cœur : "Je vous
aime !" Puis elle part sans se retourner, sans quémander un merci, sans rien demander. Moi je l'aurais bien embrassée, étreinte
parce qu'elle m'avait dit d'un coup ce que j'étais venu chercher, ce que j'espérais, ce que surtout j'avais envie d'entendre. Un fauve
m'aurait agressé, il ne m'aurait pas davantage arraché la gorge comme cette femme l'avait fait d'une seule phrase. Elle m'a laissé
minable et désorienté, pantelant au milieu du trottoir. Ambiance.
Plus loin, un vieux pêcheur passe, deux cannes sur l'épaule, un panier dans l'autre main. Je lui dis :"Qu'allez-vous attraper des
Tchelbas ?" Il me répond, il n'y a plus de poissons comme avant ici, mais je vais passer le temps. Tu es né ici ?" Et moi de répondre :
"Non, aux Deux-Moulins !" Pas loin quoi. "Ah, les deux-Moulins, l'O.D.M, M. Bellan !" En clair, mon club et mon président.
Ambiance.
Le car s'arrête à Marengo, sur la place : camera, preneur de son, on crée l'événement surtout que c'est vendredi, dimanche en
Algérie. La foule est dense. On questionne un vieux monsieur en veston cravate, il cite tous les noms pieds noirs de l'époque, il
jouait au foot à l'O.M, l'Olympique de Marengo, tous ses potes, il s'en souvient. Avec nous une petite fille de l'un deux qui n'a
quasiment pas vécu là. Arrive un petit vieux, visage vérolé, ému l'œil humide et pétillant de gentillesse il lui dit : "Qui tu es toi ?"
"Je suis la petite fille de M. Garcia, je voudrais savoir où est la propriété et s'il y a toujours les orangers ?" "Bien sûr qu'ils sont
toujours là Tes orangers (j'ai adoré le Tes), suis-moi, je vais de les montrer, ils sont même plus beaux que jamais." Et sa déception à
ce pauvre petit vieux que j'aurais volontiers embrassé, car nous n'avions pas le temps. Il aurait aimé les lui faire caresser ces
oranges. Ambiance. Je retourne vers l'autre, on lui demande son nom. Il nous le dit mais ajoute, ce n'est pas la peine mon nom,
vous leur direz aux joueurs de Marengo, que je suis le goal, le boucher. Il a fallu qu'on nous pousse dans le car pour repartir.
J'arrête là pour ce soir. J'ai mon compte mais il y en a d'autres.
Raminagrobis
Copie de la lettre au Docteur Rabia Lekhal
Directeur de la Santé et de la Population, à Alger :
Docteur,
Je suis la personne que vous avez attentivement écoutée l'autre jour à la descente de l'avion Marseille-Alger, celui qui retrouvait
ses racines 43 ans moins 27 jours après les avoir quittées. Je suis de retour au logis, j'habite la luxuriante Côte d'Azur, et plus
précisément Grasse, la capitale mondiale du Parfum (de luxe of course). J'ai d'ailleurs travaillé quelque trente années dans la
plus belle des usines qui faisaient tous les grands parfums mondiaux que je vous cite : Air du temps de Nina Ricci, Poison de
Christian Dior, Opium d'Yves Saint Laurent, Obsession de l'Américain Kelvin Klein, comme tous les autres Dior et Saint Laurent,
mon concitoyen et natif comme moi, lui à Oran, moi à Alger, de 1936.
J'ai été très sensible aux compliments dont vous avez bien voulu me gratifier à titre personnel. Je suis en effet un nostalgérique
forcené et ces trois jours passés dans MON pays, car je le considère comme tel, m'ont fait tout à la fois du bien et du mal ; du bien
parce que j'en avais un impérieux besoin, du mal parce que le paysage a tellement changé et pas toujours en bien, que j'en suis
revenu meurtri, désorienté, peut être même guéri, inoculé contre mon mal de vivre. La luxuriance de la Côte d'Azur, que sans
doute vous connaissez, m'a assurément trop bien ou mal habitué. Cannes qui n'est qu'à 11 km va incessamment accueillir le Gotha
mondial du cinéma, le luxe va suinter de partout, il l'est déjà en permanence avec les émirs du golfe qui habitent la région. J'ai
par contre ressenti une fierté énorme à la vue de notre Mitidja qui, depuis le site somptueux du Tombeau de la Chrétienne,
déclinait tous ses verts. Nous l'avons ensuite traversée de bout en bout en nous arrêtant dans tous les patelins : Ameur El Aïn, El
Affroun, Marengo qui ne s'appelle plus comme cela. Et de voir ces champs si bien rangés, ces vignes bien taillées fuir à l'horizon,
j'ai repensé à nos ancêtres, les artisans de cette beauté naturelle qu'ils ont assèchée et sont morts par centaine de la malaria, du
paludisme et de toutes autres maladies pour la rendre si belle aujourd'hui. Ceux d'entre nous qui ne connaissaient pas cette
profusion céréalière ou viticole, soit parce qu'ils étaient partis trop jeunes, soit parce qu'ils n'étaient que les conjoints de leurs
pieds noirs d'épouses, en sont revenus époustouflés. J'ai par contre été désolé de constater les constructions anarchiques et pas
toujours du meilleur goût qui enlaidissent le magnifique site du Chenoua aux teintes violacées qui s'apesantit de toute sa masse
dans notre chère Méditerranée, elle-même hélas en bien piteux état de votre côté.
Sachez que vos paroles me sont allées droit au cœur et que ce pays, le vôtre, qui est le mien sans trop aujourd'hui le rester, m'est
très, très cher, il aura illuminé les 26 premières années de ma vie de toute sa splendeur, c'était un Pays de Cocagne que je pleure
tous les jours un peu plus.
Nostalgériquement vôtre.
Date de création : 09/05/05 à 21:55
10/05 un premier commentaire de Régine par bazailles54
parlons ensemble de ce voyage qui nous prend aux tripes, et que nous avons, malgré tout , envie de faire.
voir de nos propres yeux, entendre avec nos oreilles et peut être simplement nous dire que nous n'étions peut être pas détesté par
tous, mais bien au contraire, apprécié de beaucoup( réagissez à ce commentaire avec simplement votre coeur)
Merci a Régine pour cette première intervention
Bernard
lire le commentaire ci dessous.
----Message d'origine----
>De:
>A: gerard-stagliano
>Copie à: jojacus2@ssfcumember.org, palinurus@club-internet.fr,
>Sujet: Re: Re: Saint Eugène.
>Date: Tue, 10 May 2005 13:52:46 +0200
>
>C'était viscéral ton besoin d'y retourner et je le comprends parfaitement. Plusieurs personnes qui avaient fait le même
pélérinage en étaient revenues " vidées " de leurs souvenirs de jeunesse mais étonnées et surprises de l'accueil qui leur avait été
réservé. Faut-il comprendre qu'aprés toutes ces années le peuple algérien ,qui souffre encore beaucoup, a fait la part des choses et
s'est mis à nous regretter ? Sans doute une certaine nostalgie du temps passé où, tous ensemble, nous n'étions pas si malheureux .
Je me souviens de mon ami algérien Mora qui était mon cavalier attitré de boogie et lorsque j'ai appris sa mort j'ai pleuré comme
une madeleine. Tous nos grands historiens devraient se pencher plus souvent vers les petites gens pour écrire leur histoire qui
n'est pas forcément celle de la réalité !!!
> Ceci dit, comme le reportage de France/Côte d'azur ne sera visible que dans ta région, tu as intérêt à l'enregistrer et à nous en
faire profiter. Vous vous rendez compte tous ! un reportage de làbas appuyé d'un commentaire aux accents pied noir, mais c'est
génial !!!!!!
> Gérard nous sommes de la même génération puisque nous n'avons que trois ans d'écart, rien que pour celà je te fais une grosse
bise
> Régine
10/05 Réaction au voyage de Gérard par SolangeDietsch
10 mai 2005
Chers tous,
Quelle émotion de lire le beau reportage de Gérard et combien nous aurions tous aimé être là-bas en dépit de tout ce que nous
pouvons dire!!!
Je reprends ci-après le message que j'avais envoyé avant le voyage de Gérard, je ne retire rien mais je remercie les gens qui ont
assez de cran pour oser l'aventure d'un retour aux sources.
Merci pour nous tous, Gérard!
Grosses bises.
Solange
"29 Avril 2005
Chers tous,
Je comprends que certains éprouvent le besoin de retourner là-bas mais il faut se méfier du choc psychologique que ça peut
produire aussi.
Je ne suis rentrée qu'en 1965 et après ces 3 années après l'indépendance un peu instables, bizarres, dangereuses et folles où nous
profitions au maximum de la mer, je n'ai pas pu supporter la France et je ne pensais qu'à retourner là-bas. Grâce à Camille et ses
parents j'ai pu y passer l'été 1966 et malgré le bonheur de revoir Camille et de passer mon temps dans la mer, ce séjour m'a
vaccinée définitivement.
Tout avait changé et Alger m'a paru sale, les amis, la famille, tout le monde était parti, les maisons et appartements étaient
occupés, c'était fini, je n'avais plus ma place et j'ai eu peur qu'on ne me laisse pas repartir, je n'y remettrai plus jamais les pieds.
Pour ce qui est de la saleté, il faut reconnaitre que les rues d'Alger n'étaient pas toujours impeccables et que nous revenions
toujours de la plage ou des rochers avec des maillots et des pieds bien goudronnés, mais la propreté est une question d'éducation et
c'est lamentable de penser que cette éducation a été abandonnée en Algérie.
Ce n'est pas la première fois qu'on me dit que tout se dégrade, que les immeubles d'Alger ne sont pas entretenus, que les cimetières
sont en piteux état, que les constructions sont anarchiques en bord de mer et la mer une poubelle. Ce qui est en cause, ce n'est pas
la pauvreté, c'est la poilitique du gouvernement ou le manque de politique et d'esprit civique, la corruption, l'indifférence des
pouvoirs publics envers le peuple algérien illustré lors des catastrophes comme les tremblements de terre ou inondations
récentes.
Quelle tristesse de voir ce magnifique pays à l'abandon et en proie au terrorisme alors qu'il pourrait faire recette avec le tourisme
par exemple!
J'arrête là mon discours, merci cependant à ceux qui nous envoient des photos récentes car ça fait plaisir mais les oursins,
Chounet, je les achète au marché de Versailles!
Pour les souvenirs, c'est bains romains.com et pointe.pescade.monsite.wanadoo.fr et mille mercis à Chounet et à Bernard!
Amitiés à tous.
Solange Dietch, née Carayol"